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Au goût des oreilles

La question

Mon ami et moi-même vivons une relation très harmonieuse. Mais une chose me préoccupe: il écoute de la musique qui me terrifie. Ce sont des opéras et des oeuvres classiques assourdissantes et déchaînées qui transforment notre paisible salon en antichambre de l’enfer. Qu’en pensez-vous?

Le proverbe du sage Nô-Mi

Il est toujours plus facile de jeter un pont entre deux berges que de détourner le cours de la rivière...

 

La réponse du psy

Je commencerai mon propos en vous racontant une petite anecdote. Vous savez peut-être que le “Boléro” de Maurice Ravel est de très loin la partition musicale la plus jouée dans le monde entier. Un succès phénoménal, qui dure maintenant depuis près de 70 ans. Or, on raconte qu’à sa création, le grand compositeur fut en butte aux critiques de quelques “spécialistes” qui lui demandèrent, en substance: “Monsieur Ravel, pensez-vous réellement que le public supporte cette lassante répétition d’un même motif?” Comme quoi, même les plus grands chefs-d’oeuvre ne plaisent pas à tout le monde. Mais c’est tant mieux car si tout l’univers aimait exactement les mêmes choses, nous serions condamnés à vivre dans un environnement drôlement pauvre! Votre ami fait partie des nombreux mélomanes qui aiment les orchestrations musclées et les oeuvres qui ont des “tripes”. Et dans le genre, certains compositeurs n’y sont pas allés de main morte. Combien de scènes d’opéras ont ainsi vu, à travers le monde, des personnages tourmentés par un destin tragique expirer dans un véritable déchirement vocal qui n’en finit plus? Les Othello, Rigoletto, Elektra et autres Taviata ont ainsi marqué l’art lyrique de leur “fin” pour le moins longue et spectaculaire, ce qui n’a pas manqué d’étonner certaines personnes peu habituées à de tels “débordements”. Ainsi, toujours au chapitre des anecdotes, on raconte que le grand spécialiste des westerns, John Ford, assistant pour la première fois à la représentation d’un de ces monuments musicaux sortit de la salle au milieu de la représentation en disant: “Ils n’ont aucun sens du rythme et de l’action, ces scénaristes!” Votre situation n’a donc rien d’exceptionnel: là où votre compagnon entend la quintessence du génie musical, vous ne percevez qu’un bruit tonitruant, ce qui peut avoir un caractère effrayant, surtout si votre installation stéréo en restitue l’ampleur et l’intensité. Quelques ajustements s’imposent: je vous déconseille naturellement de faire bouillir les vinyles et les CD’s préférés de votre partenaire dans une casserole, car c’est alors vous-même qui deviendriez l’une de ces infortunées protagonistes que l’on trucide à la hache sur un fond sonore pimenté. Je ne pense pas non plus qu’un bocal de mélasse malencontreusement versé sur la hi-fi arrangeront les choses. Vous finiriez comme ces cantatrices qui profitent des tympans de deux mille spectateurs pour exhaler un dernier soupir. Par contre d’autres solutions paraissent à portée de main: les boules quiès, remède confirmé par le capitaine Haddock en personne, face à l’encombrante Castafiore ou les écouteurs remettront un peu d’ordre dans le ménage. Ou alors des heures bien définies où votre ami pourra se mettre à dos tout le voisinage alors que vous-même ferez tranquillement vos courses en ville. Et puis la solution que je préfère: laissez votre moitié vous apprendre à aimer ce qu’il aime, à vous faire découvrir que cette antichambre de l’enfer peut très bien devenir une parcelle de paradis, pour autant qu’on comprenne ce que la musique exprime et que l’on se laisse envoûter par la magie des sons puissants d’un orchestre symphonique. Avantage certain de cette méthode, vous pourrez aller en voyage de noces à Milan, où, dit-on, l’acoustique d’une certaine Scala est particulièrement propice aux râles d’outre-tombe de ces héros que les opéras s’ingénient à éliminer à grands renforts de timbales et de cuivres...