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Violence et psychisme

La question

La polémique n’est pas nouvelle : depuis que les médias ont connu un formidable développement, dans les années cinquante, les psychosociologues se posent la même question : la violence suggérée ou montrée à travers une multitude d’images, la mort réduite au rang de simple fait divers, ont-elles des effets “pervers” sur les spectateurs, souvent jeunes, qui les consomment sans en mesurer l’impact sur leur psychisme ?

 

La réponse du psy

Le morbide devient un objet de culte et les fanatiques de “serial killers” fameux comme Charles Manson ou Jeffrey Dahmer poussent comme autant de champignons vénéneux sur un terrain social déjà passablement pourri et gangréné par la haine et le mépris d’autrui. Les boutiques vont jusqu’à vendre des posters et des T-shirts à l’effigie de ces assassins complètement fous dont la cote de popularité en fait des vedettes capables de rallier un grand nombre de supporters prêts à tout pour suivre leur triste exemple et les ériger en “martyrs” d’une société qui n’a pas su les comprendre. Messies de l’horreur, on boit leur parole et on s’arrache leurs interviews. Parallèlement s’ouvre le procès d’O.J. Simpson où le sordide glauque côtoie le glamour clinquant d’Hollywood et toutes les chaînes de télévision envoient leurs meilleurs journalistes couvrir cet autre événement que l’on a pompeusement appelé “intervention à Haïti”, dans l’espoir de montrer quelques images de missiles qui illuminent Port-au-Prince au clair-de-lune. Les psychosociologues se divisent nettement en deux camps lorsqu’il s’agit d’expliquer ce goût immodéré pour le sang. Les premiers s’appuient sur une comparaison de l’être humain ave l’animal : comme lui, notre instinct carnassier nous incite à la violence, à l’agression. Mais comme notre culture et les lois qu’elle a mis en place répriment cet aspect “bestial”, nous avons besoin d’une sorte de paratonnerre qui canalise ces pulsions létales. La violence par procuration nous en donne les moyens et plus nous en consommons, moins nous courrons le risque de passer à l’acte. Seulement, c’est oublier que l’animal ne tue pas par plaisir mais par besoin et que chez lui, il n’y a pas de réflexion morale. Les seconds ont tendance à tirer la sonnette d’alarme et à prévenir le public : la violence à hautes doses opère sur notre psychisme une véritable cure de désensibilisation. Quelle valeur pouvons-nous accorder à la vie, lorsque celle-ci, et en toute impunité, est bafouée sous nos yeux et pour notre seule distraction ? Certains diront, à juste titre, que la peur suscitée par certaines images peut inhiber toute envie d’en faire autant. Mais la réalité montre qu’elle fonctionne comme élément qui renforce encore l’envie de transgresser la norme. Combien de faits divers attestent d’ailleurs du fait que les protagonistes de l’horreur au quotidien ont simplement voulu imiter ce qu’ils avaient vu à la télévision ? On rétorquera que cette attirance pour le nauséabond ne date pas de l’ère des médias : les romains se délectaient de ces esclaves jetés en pâture devant des lions affamés et applaudissaient ces gladiateurs qui annonçaient la couleur dès leur entrée dans l’arène, “Ceux qui vont mourir vous saluent”, avant de se mettre en pièces. Mais le problème demeure le même : cette vision de violence pousse-t-elle à l’agression ou permet-elle de l’éviter ? La plupart des recherches sérieuses menées dans ce domaine sont accablantes : notre appréciation de la gravité des actes commis envers autrui diminue proportionnellement à la quantité de violence que nous avons absorbée. Notre psychisme s’adapte constamment à son environnement. Lorsque nous voyons des habitants de villes en guerre survivre aux pires sévices et privations, nous sommes étonnés. et pourtant nous avons là la preuve flagrante que l’on s’habitue aux images horrifiantes que l’on voit quotidiennement. Lorsque la mort devient banale et la violence coutumière, toutes les règles qui permettent à chacun de vivre en relative sécurité dans un environnement peu hostile deviennent caduques et laissent place à l’horreur aveugle. ce qui est pervers, dans le propos d’un film comme “Natural-born killers” c’est qu’en voulant dénoncer une dérive particulièrement grave de la norme sociale, on en fait indirectement l’apologie. Le message initial passe au second plan, au profit du “premier degré”, celui qui montre crûment qu’une vie ne vaut rien de plus qu’une simple balle tirée dans une tête anonyme.

Comment peut-on réagir face à cette overdose de violence ?

Lorsqu’un théoricien commence à énoncer ce qu’il croit être la vérité, on a envie de lui faire remarquer qu’il nage, en général, en pleine utopie et qu’il ferait mieux de regarder la réalité en face avant d’en proposer une image déformée. Aussi, je ne crois pas qu’il y ait une seule façon de se protéger des nuisances que peuvent provoquer cs violences “médiatiques”. Cependant, le bon-sens nous donne quelques pistes dont voici quelques esquisses :

- Sur la plan de l’éducation, il faudrait absolument veiller à ce que les enfants deviennent conscients de ce qu’implique la violence, de ce qu’est la mort et de ce que représente la vie. Inutile de les empêcher de jouer aux cow-boys et aux indiens ou au gendarme et au voleur, mais on peut les rendre sensibles à la douleur et aux sentiments qu’ils éprouvent face, par exemple, à un animal malade. Le principal objectif est de garder intacte leur émotivité et de ne pas l’émousser à force de la soumettre à la gratuité des actes violents.
- Sur le plan des médias, il s’agit de faire un tri et de rejeter, autant que possible, ce qui tient du voyeurisme malsain. A chacun de définir quel est son seuil de tolérance face à la violence visuelle, sans oublier que plus on en consomme, plus on tend à émousser notre sens “critique” face à son impact sur notre psychisme.
- Sur le plan de son éthique personnelle, on ne devrait pas adhérer aveugément à une “mode” sans en mesurer les conséquences possibles. Vouer un culte à Charles Manson (qui assassina notament la première femme du cinéaste Roman Polansky, Sharon Tate, en 1968) ou à Jeffrey Dahmer (qui a sévi assez récemment), c’est accepter implicitement que la torture et le meurtre font partie de nos valeurs. S’en rendre compte, c’est déjà parcourir un bon bout de chemin !
- Sur le plan de la prévention, les enseignants, les parents, les éducateurs et tous ceux qui ont des contacts réguliers tant avec des enfants qu’avec des adolescents devraient préparer le terrain afin d’éviter les dérapages incontrôlés. Si l’on arrive à faire prendre conscience de l’importance du respect des autres, on construit des fondations qui, par la suite, résisteront plus facilement aux tentations de marginalité lugubre qui, sans conduire forcément au passage à l’acte, laisse néanmoins des traces indélébiles dans le fonctionnement social d’une personne.